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Des maux sous les mots

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Tribunal de commerce de "Drogo", France, novembre 2014.

Aujourd'hui, lorsqu'une entreprise est en difficulté, la demande de procédure collective procède majoritairement d'une déclaration faite par le·la dirigeante lui·elle-même. Chaque déclaration a le même format : celui d'un formulaire administratif standard (fourni par le greffe) où dans un petit encadré, apparaît "Exposez succinctement l'origine des difficultés de l'entreprise". Ici, point de longues argumentations sur les motifs de la faillite, ceux-ci se résumant à des raisons factuelles et immédiates. Laissées à l'appréciation des dirigeantes (ou de leurs représentantes), les causes de faillite sont élaguées et réduites ; disparaît alors une part notable du réel, faisant fi de la complexité et, spécialement, de la subjectivité". À l'histoire passionnelle, au drame familial comme le décès brutal du conjoint et associé principal de Brigitte et de la dépression lourde qu'elle traversera, se substitue une fiction neutralisée et rationalisée qui a perdu en localité, en particularité, en matérialité, en multiplicité.

Les vies sont mises sous dossiers en des notes et/ou des récits courts et rudimentaires prêts à l'emploi que les juges peuvent directement utiliser au cours de leur instruction. Le fait est que le travail judiciaire impose une écriture/lecture impliquant la "construction d'une identité individuelle en dehors de l'individu concret par la mise à l'écart de certaines caractéristiques qu'il considère comme importantes et la sélection d'autres qu'il peut estimer secondaires ou non pertinentes" (Vincent DUBOIS, "La vie au guichet. Administrer la misère", 2015, p.137-138).