Contributions

Ecrits d'usine

droit négocié écrits travail
Moselle, France, 2019
A quelques mètres du « couloir syndical » d’une usine d’une grande entreprise d’automobile française, je prends rapidement en photographie ce mur d’affichage d’informations syndicales. Rapidement car il semblerait que le règlement intérieur dispose que les visiteurs ne sont pas autorisés à se promener seuls dans l’établissement : il ne s’agirait pas que je me fasse remarquer voire prendre pour un espion !
Sur cette image un peu floue et coloriée se donnent à voir dans des classeurs des références aux textes nationaux ou conventionnels qui régissent la vie des salariés. Ces documents – qui relèvent d’une « obligation d’affichage » dans les entreprises – sont d’abord le produit concret de l’activité syndicale et de cet objet mythique qu’on nomme « le dialogue social à la française ». Mythique car insaisissable et toujours en crise, mais bien réel aussi, s’instanciant dans des écrits et des références qui agencent, à travers leur intertextualité, l’infrastructure normative de l’entreprise. Que font (faire) ces papiers néanmoins ? Les feuilles sont-elles sorties des classeurs, les accords sont-ils consultés par les salariés qui souhaitent connaître leurs droits ? Les coordonnées de l’Inspection du travail, du Défenseur des droits, du « référent harcèlement employeur » et du « référent harcèlement CSE », du « service de santé au travail » et du « service de secours d’urgence » [feuille en bas à droite], sont-elles notées quand le besoin s’en fait sentir ?
Difficile à dire tant qu’un observateur ne se postera pas à quelques mètres de là pour regarder – peut-être pendant des mois – la façon dont ce panneau existe pour les salariés. Il n’empêche que sa présence, même en arrière-plan, contribue à faire exister ces appuis juridiques, à les rendre réalisables dans des occasions que l’enquête pourrait déterminer. Plutôt que de postuler une opposition entre le « droit vivant » et le droit inerte, celui des livres et des textes, il s’agit plutôt de comprendre les conditions par lesquelles le droit prend vie (à la manière dont dans la tradition juive, les lettres tracées sur le front du Golem animent la créature).