Contributions

Le guichet

bureaux dossiers paperasserie
Pologne, 1966
Laissés à l’air libre, écornés, froissés, compressés, les papiers s’empilent sur les étagères, en longueur et en hauteur, comme le laisse penser l’escabeau de bois accolé à l’une d’entre elle. Cet arrêt sur image est l’extrait d’un film, et plus exactement du lent travelling qui le conclut, glissant au coeur des allées d’une bureaucratie polonaise au cours duquel une voie off, celle d’une guichetière, explique aux usagers qu’ils doivent remplir scrupuleusement leur formulaire en répondant par oui ou par non. Après avoir attendu, fait la queue debout, ils écoutent docilement l’agent d’une caisse de retraite auprès duquel ils doivent rendre compte de leur carrière pour faire valoir leurs droits. Est-ce le décalage entre la froideur des jeunes employées dont la caméra fixe les gestes routiniers et la fragilité des visages de ces salariés, usés par les années, qui n’osent broncher mots ? Est-ce l’abîme rendu visible par ce travelling final, entre les couloirs interminables des archives moites et poussiéreuses, et la vie qui transparaît dans les murmures et les regards hagards du public qui attend ? On est quelque part en Pologne, en 1966. Krzysztof Kieślowski signe ici son tout premier film : « le guichet », documentaire d’à peine plus de 5 minutes, réalisé dans le cadre de ses études à l'école de Lodz. La puissance qui se dégage du film, au montage vif et tremblant, n’est pas innocente. Au-delà des papiers, des tampons et des formulaires, la matérialité du droit est restituée ici depuis une lecture critique de la bureaucratie, organisation sourde aux vibrations d’une humanité charnelle et démunie. Le film est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=zXlcB24cvqk